Un peu d’histoire

L’histoire de Saussemesnil est étroitement liée à celle de la forêt de Brix. La commune fut longtemps constituée de deux sections distinctes, Saussemesnil et Ruffosses, toutes deux composées de nombreux petits hameaux, éloignés les uns des autres, établis dans les clairières au fur et à mesure des déboisements.
Au XIXe siècle, Saussemesnil connaît une très forte croissance démographique. Cette poussée de population et le développement de l’habitat qui en découle, se font surtout à l’ouest, conséquence des grands défrichements du domaine forestier. Les fermes et les hameaux de défricheurs se multiplient. Il en résulte qu’une grande partie de la population se trouve très éloignée du bourg de Saussemesnil et de son église. La décision de construire une église à Ruffosses va déboucher sur la constitution d’une paroisse en 1851. Un tiers de la population, soit 600 habitants, sera attribué à Ruffosses, 1200 resteront à Saussemesnil. Ruffosses va se doter d’une école privée, pour les filles, puis d’une école publique fréquentée en majorité par les garçons. La commune va donc devenir l’une des rares « communes à sections » de France : un seul conseil municipal, mais constitué d’élus provenant de chacune des deux sections, 7 conseillers pour Saussemesnil, 6 pour Ruffosses. Outre cette bizarrerie administrative qui a subsisté jusqu’en 1995 (suppression lors des élections de 1995 à la demande de Madame Amélina Hamon ancien maire et après accord des services de l’état), les deux sections étaient relativement autonomes, que ce soit au niveau des écoles, des lieux de culte et du clergé qui, à l’exception de quelques périodes, furent distincts et sans lien de subordination. Chaque section avait sa fête communale et paroissiale. Cette histoire atypique permet de comprendre certaines singularités actuelles de la commune : l’éloignement des écoles, deux églises, deux presbytères, deux cimetières et deux monuments aux morts, ainsi que la situation atypique de la mairie à distance des deux bourgs. Au delà de ces aspects physiques, une certaine méconnaissance respective a longtemps prévalu entre les deux populations. Aux deux bouts de la chaîne de la vie, les enfants ne fréquentaient pas les mêmes écoles, les morts n’étaient pas inhumés au même cimetière.
A l’heure des intercommunalités, cette histoire est néanmoins importante à rappeler…

Aux origines…

Les avis divergent sur la signification du nom : pour certains il s’agirait du Mesnil de Saxi, de mesnil (domaine rural) appartenant à Saxi un homme d’origine scandinave. D’autres pensent que ce nom pourrait dériver plutôt du saule, salix en latin, saulx, en français ancien

Certains « mesnil » peuvent également dériver de mansio (station le long des voies romaines). On ne peut exclure cette option puisque la voie d’Alauna au Cap-Levy (actuelle D 24) traverse la commune et passe non loin de l’église. Le socle de la croix du Carrefour de la Rosière est très probablement une borne millière. Des découvertes antiques ont été signalées en plusieurs points de Saussemesnil, (hameau Guerrier, Montvason…) . En 1990, une prospection aérienne de la commune a révélé, au milieu d’un champ, le tracé d’une villa romaine.
Une autre voie antique, au tracé très linéaire, passant par Chiffrevast, forme la limite occidentale de la commune. Elle passe au carrefour « Brétot », théâtre, le 4 juillet 1379, pendant la guerre de Cent Ans, d’une bataille opposant les garnisons françaises sous le commandement de Guillaume des Bordes et les troupes anglaises établies dans le château de Cherbourg. Les morts anglais furent ensevelis à l’emplacement de la ferme actuelle de « La Banque », les français quant eux, inhumés probablement par les moines du Prieuré de l’If, dans une fosse commune au bout de la chapelle.

Eglises, châteaux et « grandes maisons »

L’église de Saussemesnil Saint Grégoire :

Primitivement de style roman, construite au XIème ou XIIème siècle sous le vocable de Grégoire le Grand dans une clairière de la forêt de Brix, au voisinage de l’ancien château seigneurial aujourd’hui totalement disparu. Agrandie et remaniée plusieurs fois au XIVe et XVe siècle, elle n’a pas subi de dégâts très importants pendant la Révolution et fut rendue au culte fin 1796. Par contre, elle fut gravement endommagée le 9 juin 1944, minée par des soldats allemands qui pensaient que des parachutistes américains étaient cachés dans le clocher. Sa restauration, confiée à l’abbé Pierre Leroussel, est en grande partie achevée en 1947 et inaugurée le 7 septembre de cette même année.

Le Prieuré de l’If :
Fondé au XIIe siècle, il dépendait de l’abbaye de Lessay. Il doit très probablement son nom à un if qui se trouvait près de la chapelle. Bordé de tous côtés par la forêt de Brix où il était facile de se perdre, un des devoirs des moines était de sonner la cloche, la nuit venue, pour guider les égarés. Ceux-ci recevaient l’hospitalité tout près du Prieuré à l’endroit encore appelé Les Gîtes. Devenu bien national sous la Révolution, il est vendu aux enchères pour 26 200 livres au citoyen Gayant, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées à Cherbourg. Devenu exploitation agricole, il ne subsiste de ce Prieuré que la chapelle et un pigeonnier.

A noter : à l’entrée du domaine, la croix de Saint-Martin de l’If en pierre blanche, avec son blason armorié «timbré d’un casque taré de front à sept grilles», signe de marquisat, avec les armes gravées de la famille Louvel, « de gueules au léopart d’argent ».
Quelques mètres plus loin, l’Oratoire de la Madone de l’If, érigé en 1749 à la demande de Jeanne Gigault de Bellefonds, veuve de François Poisson, seigneur de Saussemesnil.

La chapelle de Ruffosses :
Selon une tradition orale elle aurait été bâtie, probablement au XVIIe siècle, par des négociants-armateurs, étrangers à la paroisse, qui voulaient remercier la Vierge d’avoir pu échapper à un péril en mer.
Devenue trop vétuste et trop petite pour accueillir les paroissiens de Ruffosses elle est vendue en… ? à Leblond, boulanger à Ruffosses.

A noter : le petit oratoire daté de 1780, dédié à Notre-Dame de Bon-Secours, édifié par les frères Pierre et Jean Simon les Croûtes et son inscription énigmatique. On retrouve ce genre de message codé un peu plus haut dans le village sur le mur de clôture d’une maison.

L'Eglise de Ruffosses

L’église de Ruffosses :

Primitivement de style roman, construite au XIème ou XIIème siècle sous le vocable de Construite à partir de 1850 sur un terrain appartenant à madame Joséphine Féline née Sivard de Beaulieu, pour une bonne part à ses frais, aidée tout de même par la famille Mauger demeurant à Montvason, par son frère Gustave Sivard de Beaulieu et par les paroissiens qui apportèrent, quant à eux, leur contribution en nature et corvées. Ruffosses devenu paroisse le 12 avril 1851, l’église est consacrée le 29 juin 1851 sous le vocable de N.D. des Anges.

Le château de Saussemesnil :
Appelé également « La Grande Maison » par les habitants, construit au XVIIIe siècle au voisinage de l’église, sur ou à proximité de l’ancien château seigneurial, son style rappelle fortement les hôtels particuliers du « Petit Versailles normand ». Après la destruction de l’église le 9 juin 1944, l’entrée principale ainsi qu’une pièce attenante, furent mises à la disposition de la paroisse pour y effectuer les cérémonies religieuses et le catéchisme. Il appartient toujours à la famille Rouault de Coligny.

Rochemont et l’Ermitage (pavillon de chasse) :
Construits sous le 1er Empire, sur un domaine de 1524 arpents, rétrocédés en 1779 par Claude Toussaint Boudoux aux frères Lebrun, Jean Baptiste et Charles François, devenu 3ème consul sous Napoléon Bonaparte.
Jean-Baptiste, son frère aîné, devenu comte sous le 1er Empire, prend le titre de Comte Lebrun de Rochemont. Il fait construire le château qui revient, à sa mort, à sa fille Henriette, épouse de Pierre Louis Antoine Sivard de Beaulieu. Leur fille Joséphine, épouse Féline, en
hérite à son tour. Décédée sans enfant, le château devient propriété de sa sœur, épouse Pioerron de Mondésir.

A noter : Les sources de La Gloire, sur le domaine de l’Ermitage.

Montvason :
Construit de 1860 à 1862 par Jules Mauger, entrepreneur à Cherbourg, sur un terrain ayant appartenu à son arrière-grand-père Jean-Baptiste Le Jeal.
Il est racheté en 1876 par Henri de Mondésir qui l’agrandit en ajoutant deux ailes dont les pierres proviendraient, selon une tradition orale, des ruines du cloître du prieuré de l’If. Lors de ces travaux, ne pouvant garder une petite chapelle située trop près du bâtiment, il fait don à l’église de Ruffosses, des trois vitraux qui s’y trouvaient .

Economie et principales activités

La poterie :
Saussemesnil est connu pour avoir été, avec Néhou et Vindefontaine, un des principaux centres potiers du Cotentin. La présence de potiers dans la commune est attestée dès la fin du Moyen Age. De vastes tribus potières, les Mouchel, les Lepoittevin et les Vallognes se concentraient principalement sur quatre hameaux : les Grand et Petit hameau Mouchel, Les Rabusquets et Sicqueval (Sigueval). Si la plupart des productions étaient utilitaires (guichons, godiâos, taffettes, marquis et pûchis) on ne doit pas oublier les potiers-statuaires : François Mouchel dit Lamare et Nicolas Mouchel-Cauco alias Colin Cauco, dont les œuvres ornent encore de nombreuses églises du Cotentin.
Gilles de Gouberville mentionne plusieurs potiers de Saussemesnil dans son Livre de mises et receptes : un certain Manasson à qui il commande des terrines à mettre sur les mouches (abeilles) et bien sûr des Mouchel, notamment Roger, qui lui fabrique de grandes terrines qui avaient deux pieds d’ouverture, ainsi que la cuve d’un alamby.
Les potiers de Saussemesnil se sont également illustrés en produisant 4000 godiâos commandés par la ville de Cherbourg pour illuminer l’arc de triomphe érigé en l’honneur du roi Louis XVI venu inspecter les travaux de la rade, le 23 juin 1786.

L’extraction de fer et la fonderie :
Le Cotentin, naturellement riche en minerai de fer avait vu se développer de nombreuses fonderies depuis le Moyen Age. Au milieu de XVIe siècle, Gilles de Gouberville, fait souvent référence aux forges de Gonneville, alors exploitées par le Vicomte de Valognes. Il précise aussi la présence d’ouvriers mineurs au lieu dit de la Fosse aux Roux, (à l’origine du village de Ruffosses, La Chapelle).
A Saussemesnil, c’est vers le milieu du XVIIe siècle que va se développer une activité de fonderie. La partie ouest de notre commune actuelle disposait pour cela de trois atouts décisifs :

  • des gisements de minerai de fer de bonne teneur et surtout exploitables en surface.
  • un cours d’eau, La Gloire, au débit suffisant pour alimenter une réserve et actionner les moulins de concassage du minerai.
  • une ressource en bois abondante pour fournir le charbon nécessaire au fourneau.
    Sous la régence du jeune roi Louis XIV, un dénommé Berryer, adjoint au surintendant des finances Fouquet et industriel de la sidérurgie, se voit attribuer un morceau du domaine royal de Brix. Il décide d’implanter une fonderie sur la Gloire, aux confins de Tamerville et Saussemesnil, au lieu-dit actuellement La Pierre bleue. Cette petite industrie occupait vraisemblablement une trentaine d’ouvriers de forge venus du Maine, mais aussi de nombreux mineurs et charbonniers recrutés sur place. Le minerai était extrait dans une zone allant du Carrefour Brisquet à la Sorellerie, où plusieurs noms évoquent ce passé minier : « La Mine », « Le Minerai », « La Galerie »… L’activité de cette fonderie fut de courte durée, une quinzaine d’années semble-t-il. La rupture du barrage de l’étang fut la cause probable de l’arrêt des installations, trois personnes, dont deux enfants, y auraient perdu la vie. Après cet accident, Berryer, englué par ailleurs dans les affres du pouvoir (procès de Fouquet), abandonne le site et le met en vente.
    Les seuls vestiges de cette activité se réduisent à des morceaux de « laitier », appelés communément « pierres bleues » que l’on peut encore apercevoir dans le lit de la rivière. Quelques fondations signalent la présence de maisons sur la rive droite de La Gloire. Un peu plus loin, le lieu-dit Le Fourneau rappelle la résidence du maître de forge, Antoine de Lonlay, et peut-être de quelques forgerons.

L’exploitation du bois et de ses sous-produits

Sur le domaine de Rochemont, une scierie a occupé, jusqu’à une trentaine d’ouvriers, de la fin du XIXe siècle aux années 1970.
D’autres activités annexes, charbon de bois, écorçage d’arbres, balais de bouleau et de genêts fournissaient du travail à une bonne partie de la population, en particulier à Ruffosses.
La production de chaux :
La production de chaux, destinée à l’amendement des terres agricoles s’amplifie au XVIIIe siècle, 22 fours à chaux sont recensés sur la paroisse en 1772. On peut encore en voir des vestiges à la Sorellerie ainsi qu’entre Montvason et Boigingant.

Sources :
Archives diecésaines :
Livre paroissial de Saussemesnil.
Livre paroissial de Ruffosses.
Archives municipales deSaussemesnil ;
Mouchel-Vallon (P), Travail, famille, poterie, en Nord-Cotentin (XVIe siècle-1er Empire), 2002.
Deshayes (J), Saussemesnil, église Saint-Grégoire – Dossier de visite. Mars 2020.
Revues Les Godiâos.